1940-1980 INNOVATION

Tivoli  1970-1980 :  les années innovantes

« Une tradition ne vaut que si elle permet d’innover ».  Paul Ricoeur

A la fin des années cinquante, Tivoli comme les 21 collèges jésuites en France, abandonnait son caractère confessionnel pour une tutelle congréganiste et une contrat d’association avec l’Etat au termes de la loi Debré du 31 décembre 1959. Cette évolution s’est accompagnée à partir de 1965 d’une ouverture sociale aux classes moyennes. Le modèle hérité du début de siècle du collège élitiste et à l’organisation quasi militaire fut ainsi progressivement délaissé.  En adoptant notamment la fin de l’enseignement du latin pour tous et la diversification des orientations de fin d’études conforme au nouveau baccalauréat, Tivoli s’est préparé à une mutation exceptionnelle postérieure aux événements de mai 1968.

Les évènements de 68 ont été vécus comme un temps particulier dans la continuité de la pédagogie jésuite. En évitant de se refermer sur un conservatisme frileux face au changement social,  la jeune équipe autour de Joseph DUVOISIN[I] a misé alors sur l’autonomie et la construction de l’élève en imaginant une pédagogie innovante. Du lycée vers le premier cycle et le « petit collège » s’est diffusé un esprit renouvelé d’humanisme, de culture, de formation et d’ouverture au monde. La parole, l’étude, et l’exercice intellectuel, allaient alors se réorganiser autour de l’éducation aux libertés et aux responsabilités. L’équipe dirigeante des années 70-80 sous l’impulsion de la Commission des Collèges et du Père Provincial a suivi le troisième modèle d’évolution et de politique d’établissement distingué par Bruno Poncet. Celui de l’ouverture dans une perspective ignatienne proche du collège d’Amiens[II]. Les responsables pédagogiques et les jeunes enseignants issus du baby-boom qui rentrent en fonction à partir de 1970-1976, sont formés à la responsabilité pédagogique, à la dynamique de groupe, à la prise concertée de décision.

L’établissement restructura tout à la fois son organisation spatiale, ses rythmes pédagogiques et sa relation éducative, sans rompre bien au contraire avec la tradition de l’humanisme jésuite : cette « christianisation des facultés personnelles : la volonté, la liberté, l’intelligence »[III]. Dans un contexte de fort rajeunissement des équipes pédagogiques[IV],  des relations inédites entre la classe et le monde social, culturel, économique, scientifique et en développement, se sont établies par l’intermédiaire de  conférences, par les  voyages notamment ; autant de dépaysements intermittents, vécus en groupe, qui ont dessiné un collège aux transversalités multiples foisonnantes et fécondes et par lesquelles un temps scolaire vécu à la fois dans l’assiduité disciplinaire et les ruptures expérimentales, pouvait devenir un temps enrichi de la connaissance et des relations humaines. L’ouverture d’un centre de formation permanente et d’une filière technologique concrétisait cette mutation réaliste face au changement social.

L’exercice de la maîtrise de la parole fut toujours central. Les anciennes concertations, les interrogations orales systématiques et le théâtre, ces méthodes héritées de l’âge pédagogique classique, furent redéployés autour des nouvelles technologies de l’audio-visuel. Le son et l’image devinrent alors pour près de deux décennies le centre créatif du dispositif pédagogique.  A cet élément interactif du projet fut associé un centre de documentation, lieu de recherche et de travail en petits groupes. Le troisième élément du projet[V], reposa sur une pédagogie différenciée par objectifs pédagogiques.  Un tronc commun délivrait les enseignements fondamentaux. Sur un tiers temps, des options scientifiques ou littéraires étaient proposées aux élèves comme un temps d’approfondissement intellectuel et culturel ou artistique par la recherche ou par la création. Un tutorat,  évolution des anciennes « équipes »[VI] du collège, regroupait une quinzaine d’élèves autour d’un enseignant.  L’élève, la famille et le tuteur étaient mis en en relation permanente, sur la base d’un contrat pédagogique, fondé sur la maîtrise des savoirs et l’autonomie progressive de l’élève. Objectifs méthodologiques et évaluation permanente constituaient les axes majeurs de cette innovation.

Cette mutation fut celle d’une génération de pédagogues. Elle ne fut pas pilotée par le haut, car il n’y eut pas de modèle rigide d’établissement.  Bien au contraire, la mutation des enseignements fut progressive et concertée entre la Direction et les équipes enseignantes. Elle s’institua dans cette  pensée éducative de liberté et de  responsabilité mise au service des autres  qui fut  très spécifique de l’action des Jésuites.

A Tivoli, un lien d’établissement fort fut ainsi particulièrement développé autour de l’expérimentation et de sa propagation dans les méthodes et les relations éducatives de l’ensemble du Collège. Ce lien construisait alors le caractère propre de l’établissement, « la » problématique qui fut au cœur de la crise politique de 1984 entre l’Enseignement libre sous contrat et l’Etat. La singularité du collège de cette période reposa finalement peut-être sur l’idée simple de relecture de la leçon ignacienne,  afin que cette tradition intellectuelle puisse permettre d’innover dans l’éducation chrétienne des jeunes au seuil de leur vie d’adulte.

M. Favory


[I] Paul Defaye, Bernard Lagaillarde (S.J) Dominique Salin (S.J) ont épaulé avec dynamisme et efficacité Joseph Duvoisin (S.J)   dans cette mutation fondamentale.

[II] Bruno POUCET, Les collèges jésuites et la formation des élites : l’impact de la loi Debré. Le Télémaque 2011/1 n°39, p. 81-96. Consultable en ligne sur le site de SHES Cairn. info.

[III] Alain Woodrow, (1984) Les Jésuites,Paris, J-C Lattès.

[IV] A partir de 1974 Joseph Duvoisin fit suivre à « ses » jeunes enseignants des formations pédagogiques très solides qui les initiaient à la psychologie à la pédagogie par objectifs, à l’approche des problématiques de la différenciation des apprentissages, de l’acte d’enseignement, de l’évaluation. Cette génération a enseigné de1975 à 2010, en entretenant ce nouvel esprit pédagogique.

[V] Ce projet d’expérimentation concernait les classes de seconde et de première. En terminale la préparation au Baccalauréat retrouvait une pédagogie classique.

[VI] Ces équipes dans les années 60 à Tivoli rassemblaient dans un petit local d’étude, les Premières et les Terminales, par dizaine (ancienne « décurie » de l’âge classique) pour le temps de travail personnel et pour des activités thématiques périscolaires, telles que le théâtre, les décors, les taudis, le journal, l’aide aux personnes âgées dans cette expérimentation avec etc..