Le quartier TIVOLI

Vous avez dit : TIVOLI ?

Montaigne, Montesquieu, gloires littéraires de Aquitaine à la renommées universelles, Camille Jullian, historien de la Gaule et surtout, de l’Aquitaine et de Bordeaux, ont tous les titres requis pour parrainer les Établissements Scolaires qui portent leurs noms ; Saint Genès, sis dans la rue du même nom, a pris celui, pluriséculaire, du quartier où il s’est implanté ; Gran-Lebrun a pour sa part pris celui du domaine acquis par les Marianistes pour l’y élever…

Mais Tivoli ? La rue du même nom, le quartier Tivoli sont à un bon kilomètre de l’Établissement !

Alors ? Et ce vocable de Tivoli qui fleure bon l’Italie, la fête et le farniente, comment s’est-il trouvé associé à un lieu de travail et d’éducation ?

Voilà des questions qui devraient piquer la curiosité des Tivoliens et des Tivoliennes, c’est à dire des élèves de l’Établissement scolaire privé Saint- Joseph-de-Tivoli, de TIVOLI, pour faire court…

Je les invite à me suivre et à remonter le temps avec moi…

En Mars 1850, la Falloux établissait la liberté de l’enseignement.

Donnant suite à a demande réitérée du cardinal DONNET, les pères jésuites avaient ouvert, dès Octobre 1850, un Collège d’internes à la Sauve Majeure, à une trentaine de kilomètre de Bordeaux.

De 85 la première année, l’effectif des élèves était passé en six ans de 215 : placés devant l’alternative de construire ur place ou de s’établir à Bordeaux, les prêtes optèrent pour la seconde solution, dans l’intention de toucher une jeunesse qui, à cette époque, ne disposait d’aucun grand collège secondaire libre (les frères des Écoles Chrétiennes n’ouvriront Saint-Genès qu’en 1874 et les Marianistes Grand-Lebrun en 1894).

é Le 14 Avril 1857, contrat était passé entre M.Georges-Antoine Gautier et quatre Pères représentant la Compagnie de Jsus pour l’acquisition par cette dernière, pour la somme de 198 000 francs, du domaine de TIVOLI s’étendant, aux portes de Bordeaux, autour du château Labottière.

Le vocable TIVOLI, écho persistant des f^tes et réjouissances dont le château Labottière et son parc avaient naguère été le cadre, sera d’emblée associé au patronage traditionnel de saint Joseph et le nouveau collège – ouvert dans les bâtiments préexistants en attendant le futur édifice néogothique (1859) – sera connu sous le nom de St Joseph de TIVOLI et ses élèves seront des tivoliens ». Cette appellation accompagnera le Collège dans ses tribulations ultérieures: dans les bâtiments de l’ Assomption de 1907 à 1931 et de Peyreblanque depuis 1931 jusqu’à aujourd’hui.

Quel rapport peut-on établir entre le vocable « TIVOLI », qui désigne aujourd’hui, à lui seul, l’établissement privé fréquenté par près de 1800 élèves, et « TIVOLI », la dénomination ultramontaine évocatrice de fêtes romaines ? Quand est-elle apparue en terre bordelaise ? Comment s’explique-t-elle ?

HISTOIRE LOCALE ET GRANDE HISTOIRE

Il était une fois… un domaine, à la fois luxueux et agreste, sis sur le territoire du Bouscat (qui débordait alors vers Bordeaux le boulevard Pierre Ier encre inexistant). Les frères LABOTTIERE, Antoine et Jacques, imprimer-libraires place du Palais, y avaient fait élever par ‘architecte Etienne Laclotte, entre 1770 et 1773, une superbe demeure de palisance ; autour de cette « Folie », parterres, prairies, et bosquets se répartissaient les cinq hectares de la propriété jusqu’au mur, aux dix-neuf échoppes et aux dépendances qui la clôturaient.

L’ensemble s’étendait du chemin du Bouscat (actuelle rue de Tivoli), à l’Est, à l’allée des Noyers (actuelle rue David-Jonston), à l’Ouest, et de la rue Labottière, au SUD, à la ruette des Cossus et à d’autres propriétés privées, au Nord.

Cette magnifique propriété, au limes de la ville, dans ce qui était encore une campagne de prés, de bois et de vignes, semble avoir traversé la période de la Révolution sans encombre puisque, en 1795, Jacques Labottière – Antoine était mort- vend ce domaine, connu déjà sous le nom de Monplaisir (ou Montplaisir), ) M. Jean Boers contre 450 000 livres-assignats.

Les années durant lesquelles Boers garda le domaine (soit du 17 juin 1795 au 19 Août 1802) méritent que nous nous y attardions : en effet, c’est durant cette période que le nom de TIVOLI va apparaître (cependant que, dans les actes, celui de Montplaisir subsistera jusqu’en 1827).

C’est aussi à la même époque que, d’après divers témoignages, le domaine, tout en restant la propriété de Jean Boers, devient un lieu public de fêtes champêtres et de réjouissances diverses organisées par l’architecte. Aurait-il été réquisitionné ? C’est ce que semblerait indiquer le fait que le 4 prairial an VI (23 mai 1798) le Bureau Central écrivit au Département pour l’informer que des fêtes champêtres allaient se donner dans « les biens de campagne des citoyens Vendure (?) et Labottière » et demander la permission d’y exercer la police à la place de municipalité de Caudéran (curieuse confusion entre Caudéran et Le Bouscat…); mais il pouvait s’agir simplement du recours de particuliers aux agents de l’ordre public comme cela se pratique, de nos jours, lorsque des réjouissances privées risquent d’entrainer quelque désordre aus alentours…Maurice Ferrus, citant cet écho tardif (1833) des « Salons Bordelais » de Marionneau, précise que ces fêtes étaient organisées par l’architecte Dufart qui « fut le premier créateur des kermesses champêtres à Tivoli » et que « c’est lui qui dirigea toutes ces fêtes pyrothecniques, dont le succès n’est pas effacé dans le souvenirs des vieux bordelais« 

Nous ne pouvons pas, étant donné sa date de parution (1833) et l’inexactitude de sa localisation (Caudéran…), retenir le seul témoignage de Marionneau pour déterminer quand se fit la substitution de l’appellation TIVOLI à celle de MONPLAISIR.

Mais, grâce à l’amabilité de M.MAFFRE, ingénieur d’études à l’Inventaire général d’ Aquitaine, nous avons eu en mai un exemplaire, malheureusement à moitié rongé, du « Journal de Bordeaux » en date du 11 Termidor an VI (30 juillet 1798) qui répercute deux échos concernant les Fêtes données à Labottière : le premier indique que « les entrepreneurs de Tivoli ont dû avoir lieu d’être satisfaits de l’affluence du monde qui a assisté à leur cinquième représentation« , ajoutant plus loin que « Le salon des zéphirs et parfums a procuré une surprise très agréable » ; le deuxième écho, à moitié rongé, annonce à la rubrique ‘Fêtes champêtres » que « A TIVOLI, Maison et j(ardin) Labotière aura lieu la sixième (représenta)tion de ces fêtes » ce même jour, précisant que « Au bouquet du feu d’artifice (…) pour la première fois le salon d(es Zéphirs) et Parfums ». (Nous avons suggérer entre parenthèses les parties du texte disparues).

Ce document est le texte le plus ancien dont nous disposions ; essayons de nous en contenter. Nous sommes en Juillet 1798. La campagne d’Italie d’un certain général Bonaparte s’est victorieusement achevée par le traité de Campoformio le 18 Octobre 1797, suivi quatre mois plus tard, en Février 1798, par l’occupation de Rome, la déportation du Pape et l’instauration de la République Romaine.

Ce triomphe a déclenché en France un engouement général pour tout ce qui lui faisait écho, en particulier le vocable italiens évocateurs de la geste transalpine du Directoire.Nommer Tivoli, c’était évoquer, dominant la plaine de Rome, les collines enchanteresses dont les Romains firent, autour de l’antique Tibur, in des lieux de villégiature préféré, depuis l’empereur Hadrien qui fit élever à leur pis une merveilleuse villa jusqu’au cardinal d’Este qui à la Renaissance, y fit dévaler de terrasse ne terrasse de magnifiques jardins parcourus de jeux d’eaux célèbres.

Appeler, dans ces conditions, le domaine Labottière « TIVOLI », c’était faire rejaillir sur lui et sur ses fêtes tout l’éclat l’éclat du Tivoli Romain : ce fut fait entre Février 1798 (occupation de Rome) et le 30 Juillet 1798, date du « Journal de Bordeaux » qui relate la cinquième Fête et annonce le sixième.

Or, nous avons vu , rapporté par Maurice Ferrus dans un article , non daté, consacré à Tivoli sous la rubrique « Lieux de plaisir d’antan » que « le Bureau Central » annonçait une petite Fête pour le 4 Prairial an VI, autrement dit le 23 mai 1798…

Nous prendrons donc la liberté d’en inférer que cette dernière date fut aussi celle de l’apparition de l’appellation TIVOLI pour désigner le domaine Labottière-Monplaisir, dans la double intention de suivre la mode flagorneuse du triomphalisme politique et de parer le cadre et les Fêtes de Labottière de l’éclat mythique du Tivoli romain.

La sonorité brève et lumineuse du nom justifie sans doute qu’il ait fait souche et qu’il se soit entendu a quartier qui allait se développer autour du domaine, puis, à partir du 1907, sur son morcellement en 117 lots desservis par trois rue nouvelles : rues Durieu de Maisonneuve, Nicolas Beaujon, et l’Isleferme.

RETOUR SUR ES ANNEES FESTIVES DU « TIVOLI »

Au cas ou le lecteur serait curieux de la suite à donnée aux festivités dont la propriété Labottière était le cadre au cours du printemps et de l’été 1798, nous allons essayer de reconstituer, à travers des documents épars, l’histoire du TIVOLI :

Est-ce le succès des premières séances qui donna à Jean Boers, propriétaire depuis 1795, l’idée de louer sa propriété à un organisateur de réjouissances ou, peut-être, le désir d’amortir un tant soit peules frais de fiscalités et d’entretien du domaine ?

toujours est-il qu’après une première tentative, en mai 1798, d’affermer Tivoli aux sieurs Guyot et Paraire, tentative à laquelle s’opposa l’autorité administrative, il loua le domaine par un bail de trois ans et pour 1200 francs par an au sieur Lannefranque, le 19 fructidor an VII, soit le 7 Septembre 1799, our y organiser des fêtes publiques. Grâce à Maurice Ferrus , nous apprenons que le 27 Ventôme au VII (8 Mars 1799) une affiche annonce : « Dernière représentation de Tivoli et la fête champêtre, mêlée de danses et terminée par un feu d’artifice nouveau qui n’a jamais été exécuté sur aucun théâtre, et de plusieurs pièces nouvelles qui surprendront les spectateurs, le tout de la composition du citoyen Varinot, artificier des spectacles et du Tivoly de Bordeaux« . (Sans doute n’était-il pas inutile de préciser « de Bordeaux », car des Tivoli avaient fait leur apparition dans d’autres villes, à commencer par Paris, cependant qu’à Bordeaux même il y avait , rue du Temple, une autre Tivoli : le Tivoli d’hiver ! )

Le 18 messidor an VII (7 juillet 1799) le chroniqueur Bernadau note : « Le Tivoli restauré de l’an passé a réouvert hier, mais il y a eu peu de monde, par rapport aux grandes chaleurs qui , déjà, incommodent de nuit et de jour à Bordeaux. Les tables de jeu, que la police y a permis pour de l’argent, comme en divers autres lieux, n’étaient pas même fréquentées.« 

Le même chroniqueur note encore au 19 Fructidor aun IX (9 Août 1801) « Les fêtes de Tivoly viennent de reprendre mais moins brillamment que l’an passé, malgré qu’on en ai baissé les prix ». Et Bernadau ajoute : « Tous ces petits spectacles, où le peuple peut aller à peu de frais, lui sont infiniment funeste sous le rapport des moeurs et de l’amour du travail« …

La date du 22 otobre 1801 mérite un intérêt particulier : en effet, ce jour-là, le célèbre aéronaute Garnerin choisit la grande prairie de Tivoli pour tenter une nouvelle ascension en ballon aérostatique. Pari « au milieu des applaudissements d’une foule imense », il s’éleva à tris cents toises, altitude d’où il l^cha un parachute de son invention auquel était attaché un chat ; celui-ci atterrit sans al, cependant Garnerin touchait terre à 28 kilomêtre de Bordeaux, du côté de soucat, une heure plus tard. L’année 1802 va être marquée par plusieurs changements : le 29 termidor ( 19 août), Jean Boers cède le domaine à jean Gautier pour 30.000 francs ; le dernier feu d’artifice tiré par Varinot est signlé à le date du 3 Octobre 1802. le nouveau propriétaire ,e renouvelle pas le bail Lannefranque et engage, le 22 avril 1803, le traiteur Labille ; ce dernier remplace l’appellation « TIVOLI » par les JARDIN d’IDALIE » à l’imitation de « Jardin du Plaisir d’Idalie » installé à Paris dans l’ancien hotel Marbeuf, rue du Faubours saint-Honoré et concurrent du Tivoli de la rue saint-Lazare (célèbre pour ses montagnes russes…) Tivoli-Jardin d’Idalie va désormais se fondre dans le nombre des maisons de « plaisirs champêtres » qui se multiplient aux portes du Médoc ( en même temps que les « Folies » de la gentry) et qui ont nom : Bel-Orme, Trianon La bêt-Grasse, les Folies-Bojolay, le Petit Raba, Plaisance (repris par Lannefranque à son départ de Tivoli), etc…

On trouve encore Tivoli dans une Chronique du 6 Août 1805 évoquant ses attractions diverses, ses bals, les repas somptueux qu’on y sert ; la même année, on y parle d’un restaurant ouvert tous les jours.

Mais une autre étoile monte au firmament des plaisirs bordelais : la villa « Vincennes », près eu cimetière de la Chartreuse, va détrôner bientôt définitivement le Tivoli des plaisirs champêtres, du jeu et des repas fins. Tivol-Labottière redeviendra une habitation particulière et un domaine privé jusqu’en 1857, date de son acquisition par les pères Jésuites.

Paul DEFAYE

Revue ° 13 DEC 1995

Documents consultés :

  • Archives de Tivoli : Contrat de vente de Labottière
  • Maurice Ferrus : « Feuillets bordelais » et article s.d.
  • Louis Desgraves : « Évocation du vieux Bordeaux » ed.Vivisques 1989
  • Albert Rèche : « Dix siècles de vie quotidienne à Bordeaux » ed. Seghers 1983
  • Roger Gal : »Nouvelles promenades dans Bordeaux », ed. Piquot 1965