Article complet de la revue 20 Mémoire et Reflexion (P.DEFAYE)
JEAN-JOSEPH SURIN ( 1600-1665 ), JESUITE ET MYSTIQUE.
Tivoli a eu le privilège jusqu’à cette année, d’être dépositaire de restes émouvants et majeurs d’un grand Jésuite du XVIIème siècle, le Père Jean-Joseph SURIN (1). Ces reliques (au sens profane du terme), à savoir son crâne (sans la mâchoire inférieure) et un fémur brisé et étrangement ressoudé, sont conservées dans une sorte de châsse vitrée et authentifiées par le sceau de la Compagnie et la signature du père X. de Ravignan en date du 2 Juin 1841.
Avant de laisser le père SURIN lui-même relater les circonstances dramatiques dans lesquelles ce fémur fut brisé, le laissant à jamais boiteux, il est bon d’évoquer les grandes lignes de sa vie et d’essayer de situer (grâce essentiellement au travail de Bernard Peyrous : « La réforme catholique à Bordeaux (1600-1719) » paru en 1995 aux Editions de la Fédération historique d’Aquitaine) sa spiritualité et son action dans leur contexte historique.
Jean-Joseph SURIN est né en 1600 à Bordeaux, de Jean de SURIN, conseiller au Parlement, et de Jeanne d’ARRERAC ; après ses études au Collège de la Madeleine, il entre, en 1616, au Noviciat de la Compagnie de Jésus les étapes de sa formation le mènent à Périgueux, La Flèche, Paris, avant de revenir à Bordeaux en théologie, matière dont il achèvera la maîtrise à Paris en 1629. C’est cette même année 1629 qu’il est envoyé faire son « Troisième an » à Rouen, où il devient un des disciples du père Louis Lallement.
Rencontre importante que celle de ce jésuite qui prêchait « une seconde conversion du coeur, qui devait éloigner de l’action pour rentrer en lui-même » (Peyrous), spiritualité nourrie des écrits de Thérèse d’Avila, de Jean de la Croix, de Catherine de Sienne, de Ruysbroeck, spiritualité considérée comme trop mystique par d’autres jésuites mais qui répondait à une inquiétude exprimée dès 1606 par le père Acquaviva, préposé général de la Compagnie ; en effet, la Compagnie s’était engagée à fond dans la contreRéforme, privilégiant peu à peu l’action et la résolution pratique des problèmes, au point de perdre de vue, chez certains, « le sens de la vie surnaturelle ».
Le père SURIN fut, en Aquitaine, le principal représentant de cette « nouvelle spiritualité ».(2)
C’est alors qu’après avoir exercé ses premiers ministères à Saintes et à Marennes, il fut nommé (1634) exorciste à Loudun, où un cas de possession collective affectait depuis deux ans une communauté d’Ursulines.
La chasse au Démon avait déjà fait une victime, Urbain Grandier, aumônier de cette communauté, brûlé vif comme sorcier en Août 1634 (CF.Michel de Certeau : « La possession de Loudun » – Archives Gallimard-Juillard 1990).
Suivirent trois années au cours desquelles le père SURIN s’épuisa à arracher les religieuses à leur possession et à leurs fantasmes, à commencer par leur Prieure, mère Jeanne des Anges, avec qui il entretiendra une correspondance suivie jusqu’à sa mort (1665). Trois années pendant lesquelles « il y a, écrit Michel de Certeau, au centre de cette foire démonologique (…) l’un des plus grands mystiques du XVIIème siècle, Jean-Joseph Surin, qui est à la fois le Don Quichotte et l’Hôlderlin de cette « aventure extraordinaire »
De retour dans la communauté bordelaise, le père SURIN, physiquement et psychiquement atteint, entre peu à peu dans les ténèbres d’une crise spirituelle terrible, comme si Satan eût alors voulu se venger des victoires remportées contre lui à Loudun : à Bordeaux, puis à Saint-Macaire, il se crut damné et en vint, malgré toute sa volonté de résister à la tentation de mettre fin à ses jours, à se défenestrer dans un paroxysme de son dramatique combat contre !’Ennemi. C’était en l’an 1645. Mais il faut laisser ici le père SURIN relater lui-même les détails de ce drame, récit qu’il fit dans ses « Lettres spirituelles», en 1663, se mettant en scène à la troisième personne, plus rarement à la première :
« Il fut logé en une de ces chambres qui sont sur la rivière et qui sont extrêmement élevées, à cause que la maison est bâtie sur un rocher, au pied duquel passe la rivière de Garonne(3) ; la chambre où il était est l’infirmerie, laquelle est au troisième étage et sur la salle. Il passa quelques jours dans cette maison, dans une désolation aussi grande qu’il eût jamais eue en la vie, à cause de la pensée qu’il avait qu’il était déjà condamné et rejeté de Dieu. ( … )
‘Ainsi donc, étant à Saint-Macaire, il croyait certainement que Dieu l’avait rejeté et damné, dont déjà il avait des motifs si grands et si puissants, qu’il ne croyait point qu’aucun homme y puisse résister en ce monde. En cette disposition il vint en ce lieu de Saint-Macaire, il fut logé au même lieu où il a été diverses fois cette année et comme son âme était remplie de cette pensée, il eut encore une autre puissante suggestion, qui était de se jeter par la fenêtre de la chambre où il était logé, qui répond à ce rocher sur lequel la maison est bâtie. Il porta cette pensée qui lui venait d’une manière tout à fait affreuse. Il passa toute la nuit à la combattre, et, le matin venu, il alla devant le Saint-Sacrement à la petite tribune qui est vis-à-vis du grand autel, et passa là une partie de la matinée, et, un peu avant le dÎner, il se retira dans sa chambre.
Comme il entra dedans, il vit la fenêtre ouverte ; il fut jusqu’à elle, et ayant considéré le précipice pour leqùel il avait eu ce furieux instinct, il se retira au milieu de la chambre, tourné vers la fenêtre. Là il perdit toute connaissance, et soudain, comme s’il eût dormi, sans aucune vue de ce qu’il faisait, il fut élancé par cette fenêtre, et jeté à trente pieds loin de la muraille, jusqu’au bord de la rivière, ayant sa robe vêtue, ses pantoufles aux pieds et son bonnet carré en tête. Le dire commun est qu’il tomba sur le rocher, et de là bondit jusqu’au bord de la rivière, contre un petit saule qui se trouva entre ses jambes et empêcha qu’il ne tombât dans l’eau. En tombant, il se cassa l’os de la cuisse, tout en haut, proche de la jointure de la hanche.
Il y avait un père dans la galerie (qui sort de la muraille, et qui est percée sur les chemins qui ont leurs saillies hors cette , muraille(4), qui crut que c’était un paquet que l’on jetait pour mettre dans le bateau pour envoyer à Bordeaux, et il dit que le père tomba tout d’un vol jusqu’au bord de l’eau, et qu’il ne heurta point le rocher, bondissant en bas ; et cela est fort croyable. Soudain qu’il eut touché la terre de ses pieds, il tomba en arrière, et un paysan qui est le passager, le voyant à terre vint à lui. Le Père qui était en la galerie donna avis, et l’on le vint quérir et emporta dans la maison, et il demeura sans aucune connaissance vingt-quatre heures. Il fut remis dans le lit, et un homme fut laissé pour prendre garde à ce qu’il ferait, avec ordre de venir avertir lorsqu’il serait expiré. Ayant demeuré plus de vingt-quatre heures en cet état, sans jamais entendre ni ouvrir les yeux, enfin sur les dix heures du lendemain, il ouvrit les yeux, et étant revenu à soi, il parla au garde qu’on lui avait mis, qui alla avertir les pères. Le médecin et le chirurgien étant venus, on le visita, et on reconnut que sa cuisse était rompue. (. .. )
Le Père néanmoins fut emporté en vie dans sa chambre, et puis à Bordeaux où sa rupture fut pansée en telle façon que les os étant mal remis, la jambe demeura courte d’un demi-pied. Les médecins lui dirent qu’il ne s’attendît point de pouvoir jamais marcher, qu’il ne pourrait point se servir et aller sans béquilles, qu’aux changements des saisons il lui arriverait des douleurs mais qu’on y remédierait par des fourrures. Cependant le père étant guéri de cette rupture, nonobstant que la jambe fût courte, n’a jamais cessé de marcher dans les occasions, et n’a senti aucune douleur à cette cuisse, et quand le temps se mit au froid, il voulut, pour obéir au médecin, prendre une fourrure de peau d’agneau qu’on lui avait accommodée, mais soudain qu’il l’eut chaussée, il sentit une impétuosité vigoureuse qui le porta à ôter cette peau et la jeter loin de soi. Il n’a eu depuis aucune peine à marcher, et allant tout de même que s’il n’avait eu de cela aucun mal.
Il est vrai que Notre-Seigneur lui donna cette confiance que cela n’empêcherait point les choses de son service. Il est aussi vrai qu’avec le temps il a été contraint de prendre un petit bâton pour s’appuyer, et que, quand il a voulu user de sa jambe pour aller pour son soulagement ou divertissement, comme pour se promener, il a toujours senti que sa jambe lui défaillait, si bien que, s’il s’obstinait à marcher, il tombait comme un sac de blé. Mais allait-il au service de Dieu et du prochain par charité, il a toujours trouvé des forces. Il est,jusqu’à présent, dans cet usage et expérience ; il y a dix-huit ans de cette chute, et comme on a loisir de devenir vieux, il se fait des changements dans les dispositions. chute est arrivée, et tantôt je parle de ceci en première personne, quelquefois en tierce personne, selon que la disposition s’y trouve : Dieu soit à jamais loué, qui nous tire quand Il lui plaît de nos misères. Nous sommes de nous toujours les mêmes, et lui bon sans fin et sans mesure ». (Lettres spirituelles – chap.IV) ‘
La guérison, tant physique que psychique, fut longue et il ne put se considérer comme guéri qu’en 1660, ce qui ne l’empêcha pas, dans des périodes de rémission, d’écrire ou de dicter, dès 1654, le fruit de ses expériences et de sa méditation.
Les cinq années qui lui restaient à vivre furent occupées à se dépenser aussi bien auprès des villageois proches des propriétés où il séjourna5 que des communautés de religieuses de Bordeaux ou du prince de Conti ; comme il l’écrivit en 1662 à la mère Jeanne des Anges : « Je désire passer le reste de mes jours retranché dans ce seul emploi, qui est de procurer que Dieu soit connu, servi et aimé cordialement des âmes à qui je pourrai étendre ma parole et mon travail ».
marcher, qu’il ne pourrait point se servir et aller sans béquilles, qu’aux changements des saisons il lui arriverait des douleurs mais qu’on y remédierait par des fourrures. Cependant le père étant guéri de cette rupture, nonobstant que la jambe fût courte, n’a jamais cessé de marcher dans les occasions, et n’a senti aucune douleur à cette cuisse, et quand le temps se mit au froid, il voulut, pour obéir au médecin, prendre une fourrure de peau d’agneau qu’on lui avait accommodée, mais soudain qu’il l’eut chaussée, il sentit une impétuosité vigoureuse qui le porta à ôter cette peau et la jeter loin de soi. Il n’a eu depuis aucune peine à marcher, et allant tout de même que s’il n’avait eu de cela aucun mal.
Il est vrai que Notre-Seigneur lui donna cette confiance que cela n’empêcherait point les choses de son service. Il est aussi vrai qu’avec le temps il a été contraint de prendre un petit bâton pour s’appuyer, et que, quand il a voulu user de sa jambe pour aller pour son soulagement ou divertissement, comme pour se promener, il a toujours senti que sa jambe lui défaillait, si bien que, s’il s’obstinait à marcher, il tombait comme un sac de blé. Mais allait-il au service de Dieu et du prochain par charité, il a toujours trouvé des forces. Il est, jusqu’à présent, dans cet usage et expérience ; il y a dix-huit ans de cette chute, et comme on a loisir de devenir vieux, il se fait des changements dans les dispositions.
A présent je suis ici dans le même lieu où chute est arrivée, et tantôt je parle de ceci en première personne, quelquefois en tierce personne, selon que la disposition s’y trouve : Dieu soit à jamais loué, qui nous tire quand Il lui plaît de nos misères. Nous sommes de nous toujours les mêmes, et Lui bon sans fin et sans mesure ». (Lettres spirituelles – chap.IV)
La guérison, tant physique que psychique, fut longue et il ne put se considérer comme guéri qu’en 1660, ce qui ne l’empêcha pas, dans des périodes de rémission, d’écrire ou de dicter, dès 1654, le fruit de ses expériences et de sa méditation.
Les cinq années qui lui restaient à vivre furent occupées à se dépenser aussi bien auprès des villageois proches des propriétés où il séjourna(5) que des communautés de religieuses de Bordeaux ou du prince de Conti ; comme il l’écrivit en 1662 à la mère Jeanne des Anges : « Je désire passer le reste de mes jours retranché dans ce seul emploi, qui est de procurer que Dieu soit connu, servi et aimé cordialement des âmes à qui je pourrai étendre ma parole et mon travail »
A sa mort, en Avril 1665, le Père SURIN laissait une œuvre écrite qui fait date dans l’histoire de la spiritualité de son siècle et dont Fénelon aussi bien que Bossuet firent grand cas ; œuvre d’où émergent particulièrement le « Catéchisme spirituel» composé en 1654 et édité en 1657, les « Cantiques spirituels » édités successivement en 1660, 1665 et 1671, les « Fondements de la vie spirituelle» dont l’édition posthume date de 1667.
Notre siècle l’a redécouvert grâce aux travaux et publications du père Michel de Certeau, jésuite et psychanalyste (19251986). Tout ceci permet-il d’accorder quelque crédit à la vision reçue par une religieuse contemporaine du père SURIN, la vénérable mère Anne Dariet, de l’ordre de l’Annonciade (dont le couvent est aujourd’hui occupé par la Dir.Rég.des Affaires culturelles d’Aquitaine), qui attesta avoir « vu » le père Surin entrer dans la gloire, après avoir passé trois heures seulement dans le Purgatoire. Dieu seul le sait…
Paul DEFAYE
1 : La Compagnie a décidé en Mars 1999 de récupérer les restes du père Surin au siège de la Communauté.
2 : Un autre discipline du père Lallement, le père Rigoleuc, oeuvra dans le même sens en Bretagne. Nous sommes heureux, à ce sujet, de signaler la thèse de Doctorat en théologie (22-1-99) consacrée à ce père et à l’histoire du courant mystique chez les jésuites français au XVIIème siècle par le père Dominique Salin S.J., ancien élève (61) et ancien professeur de Tivoli.
3 : Jusqu’au XVIIIème siècle la Garonne passait au pied du rocher sur lequel est bâtie cette maison, appelée » Le Prieuré ».
4 : Cette galerie de bois était un » hourd », dont il ne reste que les corbeaux de pierre qui en supportaient l’encorbellement (Cf.photo)
5 : En particulier au domaine de Chelivette, sur le territoire de Saint-Loubès, que Jean de Surin (son père ?) avait donné en 1626 à la Maisen professe des Jésuites pour y ouvrir
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